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Un homme et sa femme avaient pour leur cœur, un fils, pour leurs bras, le travail, pour leur corps, une petite cabane et une natte pour dormir, pour l'estomac, un peu de nourriture, et au cou pas le moindre petit coquillage. Celui qui avait des coquillages avait tout. Quand il voulait quelque chose, il pouvait tout avoir en échange de coquillages. 
Un jour que le garçon jouait, il sentit un parfum extraordinaire. Il en suivit l'arôme. Il courut jusqu'à l'autre bout du village. Là étaient assis des hommes qui mangeaient la nourriture d'où provenait ce délicieux parfum. Celui qui mangeait le plus était l'homme assis au milieu. Il engloutissait sans s'arrêter, et était si gros que son ventre donnait l'impression qu'il allait éclater.

Le garçon s'approcha et lui demanda : « Qui es-tu, pour manger des choses qui sentent si bon ? »
L'homme tourna la tête et cria d'une voix telle que le garçon eut l'impression d'être plus petit que la plus petite des fourmis : « Comment se fait-il que tu ne saches pas à qui tu t'adresses ? Ce que je porte au cou, tu ne le reconnais pas ? » Il montra avec son doigt gras son collier de coquillages. Il y en avait des grands et des petits, des blancs, des roses, des jaunes, et de toutes les couleurs.
« Tu ne sais pas que celui qui possède autant de coquillages est le chef de l'île ? »
L'homme se leva, les coquillages tintèrent, et le garçon les admira.
« Toi, qui es-tu ? demanda le chef. Tu les voudrais, hein ! mes beaux coquillages ? Ils sont beaux, dis ? Dis qu'ils sont beaux ! Réponds donc ! » Et il enleva l'un de ses colliers qu'il fit danser et tinter sous les yeux du garçon. Il riait. Il riait beaucoup, très fort.
Le garçon lui dit : « Ils sont beaux. Ils sont très, très beaux. Moi aussi j'aurai beaucoup de beaux coquillages comme ceux-là et beaucoup de nourriture qui sente très bon. Moi aussi je serai chef. »
Le chef, en grande colère, brisa un morceau de coquillage, qu'il jeta aux pieds du gamin :
« Va-t'en, tant que je domine encore ma colère. Quand tes colliers seront plus grands que ceux que je porte au cou, reviens me voir. Nous compterons. Celui qui aura le plus de coquillages sera le chef de l'île. »
Il rit beaucoup. Tous les hommes rirent avec lui. Le garçon ramassa le morceau de coquillage et s'en alla, très énervé par ce que lui avait fait le chef.
Le garçon et les coquillages - illustration 1
D'abord il voulut jeter le morceau de coquillage, pour ne plus avoir en tête le seigneur de l'île, mais finalement il l'échangea contre un pépin d'orange. Il le planta, puis se coucha pour dormir, car son ventre était vide et ses jambes n'avaient plus de force. Quand il se réveilla, l'arbre était déjà très haut et, quand il se réveilla le jour suivant, ses branches touchaient le ciel.
Le garçon sauta, ses mains saisirent les branches, et il monta tout en haut, sur les plus hautes branches de l'arbre. 
Le garçon et les coquillages - illustration 2
Au-dessus de lui se balançait une maisonnette. Le garçon, poussé par la curiosité, y entra et vit une femme à l'intérieur.
« Fais vite demi-tour et sauve-toi, tu ne sais pas encore quel danger il y a ici, ce qui y est bon et ce qui y est mauvais. Tourne-toi, saute et fuis, pour être loin d'ici. Si mon mari te voit, il fera en sorte que tu meures. C'est un esprit !
— Je viens tout juste de grimper jusqu'en haut, pourquoi est-ce que je redescendrais, dit le garçon. Ses yeux regardaient la femme. Ton mari ne m'intéresse pas et ne me fait pas peur !
— Mais tu es venu jusqu'à lui. Cache-toi dans le coin, » dit la femme, et elle jeta une natte sur lui. L'esprit arriva et flaira.
« Femme, ça sent l'homme ici ! Qui est-ce, femme ? qui donc est ici ?
— Quel homme ? » dit la femme, et sa voix était dure comme le bois de fer. « Un enfant est arrivé d'en bas, il est dans le coin, sous la natte. »
L'esprit ne souffla mot , mangea et but avec sa femme. Ils donnèrent au garçon une écuelle de bois sur laquelle était un couvercle fait d'une grande feuille. Quand le garçon souleva la feuille, l'écuelle se remplit de nourriture. Il en prit et mangea, en reprit et remangea, en reprit encore et remangea encore, en donna à l'esprit et à sa femme, et l'écuelle était toujours pleine de nourriture. Quand il en eut assez et qu'il fut rassasié, il recouvrit l'écuelle avec la feuille. Alors l'esprit déposa sur la table quelques bouts de tiges de bambou.
Le garçon et les coquillages - illustration 3
Le garçon les secoua, et des coquillages tombèrent. Il en tomba longtemps, il en tombait toujours, et il y en avait beaucoup. L'esprit et le garçon dirent : « Un, deux, trois, quatre , et ainsi de suite, jusqu'à ce que la force quitte mains et tête, mais ils comptaient toujours. »
Puis ils voulurent ranger les coquillages dans les tiges. Il y avait tant de coquillages que ni l'un ni l'autre n'avait plus la force de compter.
Déjà le soleil était parti se coucher derrière la forêt, et il faisait noir quand ils remirent enfin le dernier coquillage dans les tiges de bambou.
Ensuite le garçon les emporta, ainsi qu'une hache et l'écuelle de bois, et il sortit de la maison par les branches de l'oranger. Il descendit de branche en branche, puis encore d'une branche à l'autre, jusqu'à ce qu'il n'en resta plus que cinq à descendre, puis il n'y en eut plus et il arriva à terre.
Il entra dans la cabane de ses parents et déposa sur la table l'écuelle de bois. « Soulevez le couvercle de feuille, et mange, papa, mange la nourriture, maman ! C'est une écuelle que j'ai rapportée de la maison dans le ciel. Elle se balance de gauche à droite, ici et là, ici et là, comme un héron sur ses longs pieds. »
L'homme et la femme mangèrent, et ce qu'ils mangeaient était bon pour la langue et pour l'estomac. Ils mangèrent beaucoup, et après chaque bouchée, ils disaient : « Une, deux, trois, et ainsi de suite, jusqu'à ce que la force quitte leurs mains, mais aussi la faim leur estomac, et pourtant ils comptaient toujours. » Puis ils replacèrent la feuille sur l'écuelle de bois et attendirent, car le garçon s'en était allé au moment où ils avaient commencé à manger. Le garçon était parti chercher le chef. Lorsqu'il arriva à sa demeure, le chef se leva, ses coquillages tintinnabulèrent, et le garçon considéra l'homme qui le regardait de toute sa hauteur. Il lui dit :
« Je suis venu, comme tu le voulais.
— Je te vois, et je m'amuse à l'idée de ce que tu vas me dire, dit le chef.
— Celui qui aura le plus de coquillages sera le chef de l'île. Ce sont tes paroles, que je suis venu te rapporter, répondit le garçon.
— Oui, celui qui aura le plus de coquillages, dit le chef, et l'orgueil faisait sonner ses coquillages.
— Celui de nous deux qui a le plus de coquillages, dis-le à mes oreilles, demanda le garçon.
— Va-t'en, tandis que je domine encore ma colère, dit le chef, mais avant, tes petits éclats de coquillages, je te les compterai sur les doigts.
— Faisons d'abord le compte de tes coquillages, pas celui des miens. Et nous ferons la différence, et les doigts n'y suffiront peut-être pas. »
Ils comptèrent. Le chef avait beaucoup de coquillages, cependant ils arrivèrent à les compter tous. Mais, quand le garçon éparpilla les siens, la bouche du chef s'ouvrit tout grand, comme une grande huître, et resta ouverte. Le chef et le garçon dirent :
« Un, deux, trois, quatre, et ainsi de suite, jusqu'à ce que la force quitte mains et tête, mais ils comptaient toujours. » Ensuite, ils n'eurent plus assez de force pour dénombrer tous les coquillages. La bouche du chef ne riait plus, ses colliers ne tintinnabulaient plus à son cou, et sa bouche ne se refermait plus. Il alla s'asseoir chez lui, derrière le four.
C'est le garçon qui devint chef.
Le garçon et les coquillages - illustration 4